Le 8 octobre dernier, les syndicats de l’équipementier en télécommunications Alcatel-Lucent ont eu confirmation des rumeurs qui ont circulé pendant tout l’été. Michel Combes, le directeur général du groupe franco-américain, leur a annoncé la suppression nette de 10 000 postes dans le monde. Selon L’Expansion, « la région Europe-Afrique-Moyen-Orient sera frappée à hauteur de 4100 postes, contre 3800 pour l’Asie-Pacifique et 2100 pour le continent américain ». En France, 900 salariés seront licenciés et 900 autres réembauchés par des entreprises sous-traitantes. Sur les 13 sites que compte le groupe dans l’Hexagone, deux seront fermées et trois autres vendus.
Cette casse sociale s’inscrit dans un contexte de très lourdes pertes que connaît le groupe depuis la fusion entre le français Alcatel et l’américain Lucent. Rien qu’en 2012, la multinationale a accusé une perte de 1,3 milliard d’euros. La direction invoque la baisse des parts de marché dans la région Europe-Afrique-Moyen-Orient et en Asie-Pacifique, alors que la CGT pointe la responsabilité des différentes directions qui se sont succédé à la tête du groupe. Le syndicat indique que les six plans de restructuration en sept ans, ajoutés aux remboursements de dettes à taux prohibitifs et aux dépréciations d’actifs, sont les premiers coupables de la crise que traverse l’entreprise.
Le gouvernement Ayrault n’a rien trouvé de mieux à faire que déplorer le caractère « excessif » du plan social et supplier les opérateurs français de téléphonie mobile de faire preuve de « patriotisme économique » en achetant les produits d’Alcatel-Lucent. Or les produits que fabrique Alcatel-Lucent pour les entreprises comme Free, Orange, Bouygues et SFR ne représentent que 7 % de son chiffre d’affaires. De plus, ces entreprises ne peuvent pas facilement changer de fournisseur, car cela les obligerait à revoir l’ensemble de leurs réseaux.
En l’absence d’une planification industrielle démocratique, le groupe a décroché dès le début des années 2000, en ratant le virage des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La fusion avec Lucent en 2006 a durement désorganisé les chaînes de production et a fait rater le passage à la 3G. Enfin, l’entreprise a dû mettre en garantie 26 000 brevets d’une valeur de 5 milliards pour emprunter 1,6 milliard d’euros à Goldman Sachs, alors que son concurrent ZTE bénéficiait de l’appui de l’Etat chinois.
Le PCF demande à l’Etat français de passer des commandes publiques au groupe afin de juguler l’hémorragie financière. Quant à la CGT, elle revendique un refinancement de la dette par les autorités. Le problème, c’est que l’Etat s’est déjà ruiné en rachetant les dettes des banques lors de la crise financière de 2008 et a plombé ses comptes après des décennies de largesses fiscales pour la classe capitaliste. Son niveau d’endettement est tel qu’il ne peut absolument pas s’endetter à nouveau pour investir dans l’économie.
Mais admettons que l’Etat français puisse sérieusement aider Alcatel. Serait-il normal qu’une multinationale ayant généreusement rémunéré ses dirigeants et actionnaires, pendant des années, soit sortie du marasme grâce à de l’argent public ? Si l’Etat « sauve » Alcatel, ne doit-il pas en prendre le contrôle ? Sinon, cela revient à nationaliser les pertes et privatiser les profits ! Le seul moyen pour les ouvriers de préserver leur outil de travail, c’est la nationalisation d’Alcatel – sans indemnisation des gros actionnaires – sous le contrôle démocratique des salariés. Voilà ce que pourraient utilement défendre le PCF et la CGT. Car le cas d’Alcatel-Lucent n’est pas isolé, et le moral des travailleurs serait renforcé si les directions du mouvement ouvrier leur montraient la perspective d’une abolition des privilèges de la classe dirigeante et d’une prise de pouvoir des salariés sur l’Etat et l’économie.