Les témoignages ci-dessous ont été recueillis suite à la manifestation du 29 novembre dernier, à l’appel des organisations syndicales de la Fonction publique. Parmi les différents secteurs représentés, les infirmières, les infirmiers et les personnels de santé en général constituaient le gros du cortège. Ils dénonçaient la dégradation de leurs conditions de travail, un manque d’effectif chronique, le non-remplacement des absences, les surcharges de travail, les burn-out, les suppressions de postes et de lits, les salaires trop bas, les rappels incessants pour travailler pendant les congés – et, last but not least, le mépris de leur direction.
Comme le soulignent les syndicats mobilisés, cette dégradation des conditions de travail est la conséquence des politiques d’austérité des gouvernements successifs, y compris bien sûr du gouvernement Hollande. Ces politiques frappent de plein fouet l’ensemble des services publics – et en particulier le secteur de la santé.
Les deux lois hospitalières HPST (Hôpital, Patient, Santé, Territoire) et la loi Santé (censée « moderniser » le système de santé) ont déstructuré le système hospitalier français. En six ans à peine, ces deux lois ont atteint leur objectif aux conséquences néfastes : 135 Groupements Hospitaliers de Territoire se substituent aux 850 Etablissements Publics de Santé. En application du Pacte de responsabilité, les budgets imposent des restructurations drastiques, dont 3,5 milliards d’euros d’économies dans les Etablissements Publics de Santé. Au passage, la précarité se développe massivement : aujourd’hui, 20 % du personnel de ce secteur est contractuel, soit 200 000 personnes.
Derrière ces chiffres, ce sont des vies humaines qui sont en jeu : celles des usagers et celles des personnels. Les pressions et les cadences infernales ont souvent de lourdes conséquences sur le moral des salariés. L’été dernier, le milieu hospitalier a été endeuillé par 5 suicides en l’espace de trois mois : 2 infirmiers et 3 infirmières. De tels actes signalent un malaise généralisé, dans le secteur – comme en témoignent bien Stéphanie et Miss Haldol, ci-dessous.
La journée d’une infirmière en psychiatrie
Sur le chemin du travail, j’écoute une chanson. Je chante en me demandant ce qui va bien pouvoir encore se passer à l’hôpital aujourd’hui. Une petite boule au ventre apparaît. Je me gare. Mon collègue d’après-midi arrive aussi. Une petite voix me dit : « un collègue homme c’est rassurant, si un patient fait une crise, je me sentirai moins en danger. »
Nous arrivons ensemble à la salle de pause. L’équipe du matin déjeune. Rien qu’à leurs visages, je comprends que la matinée a été difficile. Nous faisons la relève. La cadre du service nous annonce alors que la troisième collègue infirmière ne viendra pas travailler. Nous sommes donc deux infirmiers pour 21 patients de psychiatrie. Nos collègues, l’une aide-soignante et l’autre agent de service hospitalier (ASH), comprennent d’emblée qu’elles vont, elles aussi, faire plus que leurs tâches habituelles.
Mon curseur de stress monte, monte. Il monte encore lorsqu’on transmet l’état de santé du patient en chambre d’isolement. Il a agressé une collègue ce matin lors du petit-déjeuner en lui jetant du café brûlant au visage ! Le médecin a-t-il recadré le patient ? Non, car il n’y avait pas de présence médicale ce matin dans le service. Comme cet après-midi d’ailleurs. Je commence à peine ma journée et je sais que nous allons tirer dur. Il faut pourtant que je maîtrise mes émotions et accomplisse mon travail.
Je vais aux vestiaires pour me changer. Mes uniformes propres ne sont toujours pas revenus de la blanchisserie. J’enfile un uniforme trop juste ne m’appartenant pas. Je croise la cadre dans le couloir. Elle m’annonce que, demain, je travaillerai au lieu d’être en repos. Je remplacerai la collègue en arrêt de travail. Je n’ai pas le choix, c’est une obligation. Mes tâches s’enchainent sans répit. J’écoute, je rassure, je réponds, j’organise, j’écris, je faxe, je fais des soins, je téléphone… Tout va vite. Ma collègue ASH vient soudain me dire que Mme Soignée ne se sent pas bien. Je saute sur le tensiomètre. La patiente est un poids plume et je n’ai qu’un brassard à tension large. Je dois m’en débrouiller.
Le temps file, file toujours. C’est l’heure de notre pause. J’en profite pour aller aux W.C., enfin. Il n’y a plus de papier toilette. Je rejoins les autres à la salle de pause. Nos collègues du matin nous ont laissé leurs tasses vides, les assiettes sales, c’est le chantier. Et il faut refaire du café. Nous allons pouvoir nous asseoir, mais des cris retentissent dans les couloirs. Des insultes, des coups. C’est une bagarre de patients. On tente de les séparer. Je déclenche mon bip de détresse pour avertir les soignants du pavillon d’à côté. Rien ne se passe. La patiente en crise me crache au visage. Mon collègue maîtrise l’autre patient. Les renforts arrivent. Nous maîtrisons la situation. Le calme revient dans le pavillon ; il me faut rassurer les patients fragiles, apeurés par les cris.
Mon café est froid. Et c’est déjà l’heure des soins de fin de journée. J’ai mal au dos. Fatiguée. Je dois encore remplir mes dossiers, organiser les soins pour demain, ranger la salle de soins. C’est 20h30 et le service est silencieux. Le téléphone sonne et la cadre m’annonce l’entrée imminente du patient que nous attendions pour 15h. J’envoie un SMS à mon mari : « je ne vais pas finir à l’heure. Ne m’attends pas pour diner. Embrasse le petit pour moi. Demain, je travaille au final. Préviens la nounou. » Et j’ai toujours la boule au ventre.
Miss Haldol
Une aide-soignante pas comme les autres
Je suis souvent de soir. Je commence donc ma journée à 13h. Lorsque j’arrive au travail, direction les vestiaires. Problème à l’étagère des tenues : pas de blouses à ma taille. Je cherche, je cherche. Rien. Il reste une tenue taille 5, alors que je fais une taille 2. Je vais donc devoir tenir mon pantalon toute la journée.
A 13h20, je sors des vestiaires, on me dit que je suis en retard. Première réflexion de la journée, la première d’une longue série.
A 13h45, c’est la relève. On m’annonce qu’il n’y a pas d’aide-soignante : elle est malade. Pour ma part, je suis aide-soignante depuis quatre ans. Ou plutôt je devrais l’être. Mais l’hôpital, qui a payé ma formation, n’a pas de poste pour moi et me maintient comme femme de ménage, sans me donner de date pour l’obtention d’un poste d’aide-soignante. On me laisse dans le brouillard le plus total.
Mais puisque l’aide-soignante est malade, aujourd’hui, la solution du jour est toute trouvée : Stéphanie (moi) est aide-soignante, au fond, donc on va s’en servir. Elle aura double casquette. Je vais par conséquent faire double emploi payé au tarif d’une femme de ménage – et c’est assez fréquent.
Je vogue donc entre serpillères et soins de nursing, changements de chambre, sorties et entrées des patients, gestion des repas avec l’infirmière, gestion du manque de matériel : assiettes, couverts, bols, biscottes, chocolat chaud, confitures, etc.
Je me fais enguirlander par les chefs parce que je n’ai pas assez commandé, mais lorsque je passe mes commandes, on me donne pour consigne de le faire avec un budget très limité. La journée se poursuit avec l’arrivée des médecins (sans un bonjour ni la moindre considération), qui nous donnent des consignes parfois impossibles à exécuter, avec certains patients.
Pour résumer, on me demande d’être partout et nulle part à la fois, d’accomplir des doubles tâches au même moment. La journée se termine à 20h30 et n’a été qu’une succession de courses, de distribution, de calculs pour répartir le matériel nécessaire au bien-être des patients. Et tout cela pour 1283.80 euros nets par mois.
J’aime mon métier, mais la direction a réussi à briser tous mes rêves de soignante, sans aucune pitié ni morale. Bienvenue à l’hôpital !
Stéphanie