En novembre 2023, Révolution a publié un article sur les conditions de travail et de formation dans l’animation périscolaire, c’est-à-dire l’accueil des enfants avant et après la journée d’école. Cette fois-ci, nous évoquerons la situation dans le secteur extrascolaire, qui concerne une grande majorité des mineurs dont les parents n’ont pas de solution de garde pendant les vacances scolaires.

Nous partirons d’un fait dont la gravité a marqué les esprits. Des enfants de 3 à 6 ans ont été victimes de maltraitance, l’été dernier, dans un Centre aéré du 8e arrondissement de Marseille. Les vidéos qui en témoignent ont fait scandale et entaché l’image du personnel de l’animation. On y voit notamment deux enfants en pleurs, punis et contraints de sauter à pieds joints ou de rester sur une jambe avec les mains sur la tête pendant de longues minutes. Une autre scène montre des enfants incités à prononcer des « gros mots » pour justifier un nouveau châtiment corporel.

Des cas de maltraitance, dans l’animation, sont fréquemment signalés. Parmi les causes de ce fléau, il faut en souligner une majeure : la médiocrité et l’irresponsabilité des méthodes de recrutement et de formation des animateurs eux-mêmes.

Un métier sous tension

Aucun diplôme n’est requis pour travailler comme animateur pendant les vacances scolaires. Autant dire que ce métier – qui consiste à garantir la sécurité physique et psychique d’enfants, tout en organisant de manière pédagogique des journées pouvant aller jusqu’à 10 heures – peut être exercé par quasiment n’importe qui. Seules conditions : avoir au moins 16 ans, avoir reçu quelques vaccins et posséder un casier judiciaire n°B3 vide (celui comportant les condamnations les plus graves et les peines privatives du droit d’exercer).

Malgré cela, l’animation est un secteur en tension, ce qui pousse les équipes de direction à réduire leurs critères d’exigence lors des recrutements.

Comment expliquer la désertion du métier d’animateur, pourtant passionnant ? La réponse est simple : il est très difficile d’en vivre.

Les conditions contractuelles sont variées. Les mairies embauchent généralement leurs animateurs en CDD, voire en CDI, et appliquent les règles classiques du Code du travail. Cependant, lors de « délégations de service public » à des associations, celles-ci ont souvent recours – faute de moyens – au Contrat d’Engagement Educatif (CEE). D’après les informations officielles de l’administration française, le CEE « est destiné aux personnes qui exercent, de façon occasionnelle, des fonctions d’animation et d’encadrement dans des Accueils Collectifs de Mineurs (ACM). Par exemple, dans un centre ou une colonie de vacances. Il s’agit d’un contrat particulier car il s’écarte des règles du droit du travail, notamment sur le temps de travail, le repos et la rémunération. »

A l’origine, le CEE devait permettre d’exercer l’animation sur des congés pris auprès d’un autre employeur. Par exemple, en plus de leur activité dans l’Education nationale, les enseignants peuvent occuper occasionnellement – sur leurs congés – une fonction d’animateurs ou de directeurs d’ACM. Mais désormais le CEE s’est généralisé à l’ensemble des personnes qui travaillent dans le secteur de l’animation, quelle que soit leur situation professionnelle. Ainsi, un étudiant ou une personne sans autre emploi peut être embauché en CEE sur des postes d’animateur, de directeur ou d’éducateur.

L’emploi en CEE a des limites temporelles : sur 12 mois consécutifs, un employeur ne peut mobiliser le travailleur que 80 jours. C’est exactement le nombre de jours de vacances scolaires que compte une année (16 semaines de 5 jours), sans compter les mercredis. Mais le CEE présente quand même beaucoup d’avantages lorsqu’il s’agit de réduire la masse salariale. Ce contrat permet en effet d’imposer jusqu’à une moyenne de 48 heures de travail par semaine, sur 6 mois. Insistons sur le fait qu’il s’agit d’une moyenne : rien n’empêche de dépasser cette limite sur une courte période et de lisser le temps de travail hebdomadaire grâce au faible nombre d’heures effectuées lors des périodes scolaires. Ainsi, pendant les vacances scolaires, dans la plupart des structures, les animateurs travaillent 10 heures par jour, soit 50 heures par semaine. Pendant les périodes scolaires, les animateurs ne travaillent que les mercredis, ce qui réduit considérablement le nombre moyen d’heures hebdomadaires sur 6 mois – et permet de « respecter » les clauses du contrat.

Le repos minimum est fixé à 24 heures consécutives sur 7 jours, contre 35 heures dans le cadre d’un CDD. Le repos quotidien, lui, reste le même que pour un CDD : 11 heures consécutives. Cependant, en colonie de vacances, ce repos quotidien peut-être réduit, voire supprimé, car il arrive fréquemment que les animateurs consacrent une bonne partie de leurs nuits à préparer les journées suivantes ou à répondre aux problématiques qui apparaissant chez les enfants, une fois couchés. Evidemment, le manque de sommeil altère la qualité du travail fourni par les animateurs : vigilance réduite, irritabilité, intolérance, moins bonne gestion des émotions.

L’intensité du travail n’est pas compensée par des salaires particulièrement élevés. La rémunération, sur ces contrats, s’élève à 2,2 fois le Smic horaire, soit une moyenne de moins de 26 euros par jour en 2024, que le travailleur soit sur le qui-vive 8 heures, 10 heures ou 15 heures par jour – et qu’il soit directeur, simple animateur ou assistant sanitaire, etc.

Le fléau de l’austérité

Les directeurs d’Accueils Collectifs de Mineurs sont contraints par de nombreux paramètres à recruter sous CEE et, en un sens, subissent eux aussi la situation. Ici comme ailleurs, le problème central est le manque de moyens, et il ne cesse de s’aggraver. Les subventions allouées aux Centres Sociaux sont régulièrement réduites. En conséquence, 67 % des structures indiquent qu’elles ne peuvent plus répondre à certaines missions « socles », et 52 % parlent de réduction ou d’arrêt d’activité. Par ailleurs, les associations souffrent – elles aussi – de l’étau budgétaire subi par les collectivités qui leur délèguent les services d’animation. La compétition pour répondre aux appels d’offres lancés par les mairies, qui octroient les marchés selon la logique du moindre coût, les pousse à réduire la masse salariale et leurs investissements (projets, matériel, formation…).

Le métier d’animateur joue un rôle clé dans la vie sociale. Nombre de parents auraient bien du mal à s’insérer, professionnellement, s’il n’y avait pas de structures pour accueillir leurs enfants les mercredis et lors des vacances scolaires. Par ailleurs, l’expérience sociale d’un enfant en colonie de vacances ou en centre aéré a vocation à le sortir de son environnement habituel, à l’ouvrir à des activités, une sociabilité et des savoirs nouveaux. C’est donc, avant toute chose, un vecteur d’émancipation pour les futurs adultes.

Appelés à faire toujours plus avec toujours moins, les ACM sont contraints de réduire la capacité d’accueil des enfants comme les horaires d’ouverture, de mener moins de projets et de recruter des personnes peu formées qui, parfois, mettent les enfants en danger, parce qu’elles sont dépassées par la charge de travail et la diversité des situations auxquelles elles doivent faire face.

Pour mettre un terme à cette régression scandaleuse, il faut recruter des animateurs qualifiés, bien formés, bien payés – et dès lors en capacité d’assurer correctement leurs fonctions auprès de nos enfants. En d’autres termes, il faut rompre avec les politiques d’austérité qui constituent la cause la plus fondamentale de la maltraitance dans le secteur de l’animation.

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