Depuis 5 ans, je suis pompier volontaire dans une petite caserne du sud de la France. Comme de nombreuses autres professions, nous sommes mobilisés face à l’épidémie du COVID-19. Et comme nos collègues des services de santé, nous faisons le maximum avec les moyens du bord.
Dans la caserne où je travaille, le potentiel opérationnel journalier (le nombre d’agents présents physiquement en caserne) a été considérablement réduit. Les astreintes sont favorisées afin de réduire au minimum le personnel en caserne. L’objectif affiché est de réduire le risque de contamination en restreignant le flux de personnes dans les casernes. Mais les personnels d’astreinte ont vocation à être appelés sur des interventions et sont donc amenés à entrer en contact avec les collègues en caserne ainsi qu’avec le personnel hospitalier. Le risque de contamination est ainsi toujours présent.
Derrière l’argument sanitaire, il y a clairement une question économique : les personnels d’astreinte ne reçoivent que 9 % du taux horaire hors intervention. Ils ne sont donc quasiment pas payés lorsqu’ils ne sont pas en intervention, mais doivent se tenir prêts à partir en mission. Malgré la période, on sent bien que l’objectif est de ne pas augmenter les dépenses et de faire le maximum avec le moins possible.
Concernant le matériel à notre disposition, nous avons été dotés de masques en papier FFP1, et des inventaires du stock sont faits régulièrement. Cependant nous sommes nous aussi confrontés à une pénurie de matériel. Dans ma caserne nous n’avons que deux masques par personne et nous ne sommes pas les moins bien lotis.
Il y a deux semaines, le Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, a déclaré qu’il n’y avait pas de pénurie de masques en France : je l’invite à venir constater la réalité sur le terrain. Le problème n’est pas le manque de moyens humains (d’autant plus que la majorité des volontaires ne travaillent plus à côté), mais le manque de matériel de protection. Il y a des centres qui font face à un cruel déficit dans ce domaine (pénurie de masques, combinaisons, gants, etc.).
Les petits centres sont particulièrement affectés : on doit se débrouiller avec ce que l’on a. Au début le port du masque n’était pas obligatoire, cela dépendait du motif de l’intervention. En cas de suspicion de coronavirus, nous devions en porter, mais pas lors des autres interventions. Dans une caserne voisine, trois pompiers ont ainsi été contaminés lors d’interventions censées ne pas présenter de risque initialement.
Suite à plusieurs cas de contamination, le port du masque a été rendu obligatoire. C’est donc après les premières contaminations au sein de la profession que des mesures ont été prises. Comme dans bien d’autres domaines, rien n’a été fait pour anticiper le risque sanitaire. La sécurité des personnes est censée être au centre des dispositifs, mais dans le même temps on nous demande d’économiser le matériel à notre disposition aux dépens de notre sécurité et de celle des personnes secourues. On marche sur la tête.
Enfin les informations et directives qui nous parviennent ne sont pas toujours très claires. Nous avons dû nous-mêmes synthétiser le flux d’informations extrêmement important qui nous arrive et qui change d’heure en heure. Cela demande de l’organisation afin que tous nos effectifs soient au courant des directives ainsi que pour mettre en œuvre les nouvelles consignes sanitaires : pas plus de trois dans la même pièce, nettoyage des surfaces et du matériel à la Javel, prise de douches après chaque fin de garde, etc.
Je terminerai sur notre état d’esprit. Nous sommes déterminés et fiers d’exercer nos missions, mais face au manque de moyens, il existe un climat de stress au sein de la profession. D’autant plus que beaucoup ont des proches qui travaillent dans des centres hospitaliers. Pour l’instant nous ne sommes pas autant frappés par l’épidémie que dans d’autres régions, mais il est impératif que du matériel nous soit acheminé en prévision d’une aggravation de la situation.
Quand nous en aurons fini avec cette crise, beaucoup de choses devront changer. A commencer par une meilleure considération de la profession : il faut en finir avec le recours massif aux volontaires précaires et nous devons être dotés des moyens logistiques nécessaires à nos missions.