Je suis en seconde année de BTS « maintenance industrielle », qui me prépare au métier d’électromécanicien, c’est-à-dire à l’entretien de différentes machines et systèmes industriels. J’alterne deux semaines au travail et deux semaines en Centre de formation d’apprentis (CFA). Je fais partie d’une main d’œuvre jeune et très bon marché : notre salaire varie, suivant l’âge, de 55 % à 100 % du SMIC.
Le CFA est une structure semi-privée. Ses clients sont nos employeurs, qui « paient » pour notre formation. Cette structure est marquée par un fort corporatisme et la direction nous traite comme des moins que rien. On est rappelé à l’ordre sur la base d’un règlement intérieur absurde, avec par exemple un contrôle strict des entrées et sorties, comme si nous étions des enfants.
Désorganisation
J’ai été recruté dans la branche spécialisée en maintenance d’un grand groupe privé, qui à ce titre a bénéficié d’aides financières de l’Etat. Je suis censé être formé au sein de l’entreprise – par « la pratique » – à mon futur travail. Or le service mécanique est très mal organisé. Il y a sans cesse des couacs, que ce soit au niveau des outils, des consommables, des passes de sécurité et autres procédures administratives. A plusieurs reprises, j’ai dû aller chercher en urgence un passe pour entrer sur mon lieu de travail ou pour participer in extremis à une formation, la veille de grosses opérations de maintenance qui nécessitent la mise à l’arrêt de toute une usine.
Ces opérations sont censées être bien préparées et prises en charge par un professionnel dédié à cette tâche. Un apprenti en licence professionnelle a bien été formé, mais après trois années d’ancienneté dans la boite, la direction lui a proposé un salaire dérisoire. Dans un premier temps, il a préféré partir. Puis, après plusieurs mois de chômage, il a fini par revenir et accepter le contrat, sans les bénéfices de l’ancienneté. En outre, sa charge de travail et la désorganisation qui règne ne lui permettent pas d’assumer correctement cette tâche.
Mon superviseur (et « tuteur ») magouille souvent pour nous faire travailler davantage. Il effectue les pointages horaires de façon très douteuse et se sert souvent de nous comme « hommes à tout faire », au détriment de la formation et de la qualité du travail. En fait, il est lui-même un « pion » sur lequel les patrons se défaussent de leurs propres responsabilités.
Notre direction ne lésine pas sur la langue de bois mielleuse : des « collaborateurs » par-ci, des slogans « inclusifs » par-là… Le 8 mars, elle a déployé toute une infographie sur les droits des femmes, alors même que des cadres de l’entreprise se livrent au quotidien à des propos misogynes et racistes.
Sueurs froides
Notre travail dans les usines pétrochimiques et autres industries lourdes nous expose aux brûlures acides, aux électrocutions et autres joyeusetés. Nombre de mes collègues ont le dos très abîmé, sont à moitié sourds ou sont entrés en contact avec de l’amiante.
Dans les années 70, des règles drastiques de sécurité ont été imposées, qui ont permis de réduire très nettement le nombre d’accidents. Mais aujourd’hui, la sécurité ne s’améliore plus. Nos formateurs ou contrôleurs aux règles de sécurité sont tellement déconnectés de notre travail quotidien qu’il nous arrive de devoir les corriger. Les problèmes de désorganisation entravent notre accès au matériel de sécurité nécessaire. Certains attendent longtemps leurs bouchons d’oreilles personnels. Il m’arrive souvent d’attendre longtemps un « bleu de travail » propre.
Récemment, mon équipe a évité de justesse un accident qui aurait pu être dramatique. Deux de mes collègues et moi-même levaient une porte de plusieurs tonnes. Nous n’étions que trois pour une opération qui requiert au moins quatre personnes. L’un de mes collègues était obligé de passer devant la porte en mouvement et surélevée de quelques dizaines de centimètres. Normalement, c’est proscrit. Mais ici, cela s’est avéré nécessaire, dans la pratique, pour faire le travail. C’est alors qu’une des attaches, pourtant contrôlée, a lâché. La porte est tombée lourdement au sol et a commencé à basculer. Le collègue qui n’était pas au bon endroit a été pris entre la rambarde et la porte en train de se coucher. Heureusement, elle a été stoppée dans son élan par une poutre. Personne n’a été blessé, mais pendant un instant mes collègues ont imaginé le pire.
Colère
L’alternance en entreprise est censée me former à un métier. Mais j’ai aussi découvert un service en crise, sous-financé et qui se vide de ses employés. J’ai appris que pour les patrons, nous ne sommes que des jetons remplaçables. Si nous ne sommes pas satisfaits, nous n’aurions qu’à plier bagage !
Une misérable augmentation des salaires – de 3 % – a été « négociée » en fin d’année. Toute une section de l’entreprise s’est mise en grève, de façon inédite, pour obtenir davantage. La direction a tenu tête et la grève s’est essoufflée. Mais la colère des salariés, elle, n’a pas disparu et refera surface tôt ou tard.