Pour financer mes études d’histoire, je dois travailler deux jours par semaine. Je prépare des commandes dans une entreprise de parapharmacie qui exporte dans toute l’Union Européenne. Je travaille 16 heures sur deux jours.
Pour me rendre au travail, je dois prendre deux métros différents, puis un bus. Je mets plus d’une heure. Ce long trajet s’ajoute à la pénibilité de ma journée de travail. Le lundi est ma plus grosse journée : je travaille pendant 9h50. Je pointe à 9 heures, termine à 19h30 et n’ai que 40 minutes de pause à midi. Le dernier bus passe à l’heure où je termine : je ne peux donc pas le prendre et dois marcher jusqu’au métro pour rentrer chez moi.
Cadences et surveillants
J’occupe deux postes dans la journée. Le premier consiste à préparer des commandes en allant chercher le matériel dans un immense hangar rempli d’étagères. Le second consiste à préparer les colis pour l’envoi.
On a 40 minutes pour préparer une commande. C’est compliqué, car rien n’est correctement rangé dans l’entrepôt. Pour s’assurer que la commande sera prête dans les délais imposés, des supérieurs sont chargés de nous surveiller. Ils ont des talkies-walkies et communiquent entre eux constamment. Ils nous observent, se disent à quelle rangée de l’entrepôt nous nous trouvons, et estiment en combien de temps on doit passer à la zone suivante. Si nous n’allons pas assez vite, ces supérieurs viennent nous réprimander. Ils nous poussent à faire le plus possible, le plus vite possible. Le rythme est très soutenu.
Comme si ces pressions n’étaient pas suffisantes pour augmenter notre cadence, il y a aussi une équipe « élite » pour nous « motiver ». Pour faire partie de cette équipe et bénéficier de quelques privilèges (un meilleur matériel, un endroit spécial dédié, une promotion), il faut réaliser les meilleurs temps de préparation, et donc courir en permanence. Evidemment, cela stimule la concurrence entre salariés.
Les cadences de travail imposées ne permettent pas de sympathiser avec ses collègues. Nous n’avons pas le temps de nous parler, et lorsque nous échangeons quelques mots, les supérieurs qui nous surveillent nous rappellent à l’ordre.
Au bout de mon deuxième mois de travail, j’ai découvert que j’avais droit à une pause de 5 minutes, l’après-midi. Personne ne m’en avait informé. C’est mon premier emploi, je suis un jeune étudiant et je ne connais pas bien le monde du travail. Mes supérieurs jouent sur ça.
Conditions déplorables
C’est un travail éreintant. D’abord, il faut courir toute la journée sans jamais s’asseoir. Ensuite, les commandes peuvent être très lourdes. Certaines pèsent plus de 50 kilos. Je suis jeune, mais pourtant, à force de me baisser et de porter de lourdes charges, je commence à avoir des problèmes de dos.
L’entrepôt n’a pas de fenêtres et n’est éclairé que par des lumières artificielles. Il n’y a aucune isolation. L’hiver, il y fait très froid et on peut voir la condensation de sa respiration. Seuls les bureaux sont munis de chauffage. Cet hiver, je suis tombé malade plusieurs fois.
Aucun matériel n’est fourni (ni gants, ni manteaux), simplement des gilets de couleur qui permettent aux supérieurs de savoir à quelle équipe on appartient. Au manque de matériel s’ajoute le problème des appareils défectueux qui ne sont presque jamais remplacés. Ce travail me détruit mentalement et physiquement. Je fais des crises d’angoisse quotidiennes.
Précarité étudiante
Je travaille pour être en mesure de payer mes études. Je suis boursier, mais ce que je reçois ne me permet même pas de payer mon loyer. Avec ce travail, j’ai juste de quoi payer mon loyer et de maigres courses pour me nourrir, ce qui ne laisse aucune place pour un loisir à côté.
Je suis obligé de travailler malgré ces conditions déplorables. L’entreprise profite de ces contrats étudiants et tente même, parfois, de garder la dernière paye. C’est arrivé à une de mes collègues étudiantes : au bout de son contrat, il lui a fallu plusieurs relances pour obtenir sa paye. Elle n’est pas la seule à avoir eu ce genre de problèmes.
Je reprends les cours le mardi, après avoir enchaîné près de 10 heures de travail la veille. Je n’ai jamais de jours de repos. Lorsque je ne travaille pas et que je ne suis pas à la fac, je dois réviser mes cours et potasser sur les devoirs à rendre. En moyenne, je dors 4 heures par nuit pour arriver à tenir le rythme.
C’est un CDD de trois mois renouvelable. A la fin de mon contrat, je n’en signerai pas un nouveau car je suis à bout mentalement et physiquement. Je n’arrive pas à tenir le rythme de la fac et les pressions imposées par mon travail. Je ne sais pas comment je vais m’en sortir financièrement, ce qui amplifie mes angoisses.