C’est une idée en vogue dans les milieux académiques : le « progrès » serait une vue de l’esprit, un préjugé naïf hérité du XIXe siècle. Il ne serait pas possible d’identifier un progrès dans l’histoire de l’humanité – ni même un fil conducteur. Des systèmes socio-économiques se succèdent : voilà tout. Et à la limite, ils se valent tous. Le capitalisme n’aurait pas marqué un progrès par rapport au féodalisme ; et donc le communisme ne marquerait pas un progrès par rapport au capitalisme. A tout prendre, mieux vaudrait s’en tenir au capitalisme, car comme le dit le vieux proverbe : « Mieux vaut un diable qu’on connaît qu’un ange qu’on ne connaît pas ».
Le marxisme rejette ce relativisme absolu. Nous affirmons que, prise dans son ensemble, l’histoire de l’humanité a marqué un progrès colossal. Et le critère de ce progrès n’est pas subjectif ou moral ; il est parfaitement objectif : c’est la croissance des forces productives de l’humanité, qui s’est appuyée sur les développements de la science et de la technologie.
Le développement des forces productives – autrement dit, de la productivité du travail humain – est précisément le moteur central de l’histoire, le facteur le plus déterminant, en dernière analyse, dans la succession des systèmes socio-économiques. Comme l’écrivait Marx dans Misère de la philosophie (1846) : « Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces productives. En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production (...), ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitaliste industriel. »
Capitalisme et socialisme
L’essor et la chute des différents systèmes socio-économiques (esclavagisme, féodalisme, capitalisme) peuvent être expliqués en termes de capacité ou d’incapacité à développer les forces productives. Par exemple, le système féodal imposait d’étroites limites à l’expansion du commerce et de l’industrie. En balayant le féodalisme, les révolutions bourgeoises – comme la Révolution française de 1789-94 – ont ouvert la voie à la domination des rapports de production capitalistes, lesquels ont permis, pendant toute une période, de développer les forces productives à une vitesse et à des niveaux inédits.
Dans le Manifeste du Parti communiste (1847), Marx insistait sur ce point : « la bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire ». Une fois devenue maître de la société, elle « a créé des forces productives plus nombreuses et plus colossales que ne l’avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. » Cependant, à un certain stade, il arrive à la bourgeoisie ce qui est arrivé aux anciennes classes dirigeantes : elle finit par se transformer en un obstacle au progrès social. « Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein », expliquait Marx. Autrement dit, le capitalisme devient une entrave au développement des forces productives, et donc à toutes les formes de progrès [1].
De classe révolutionnaire, progressiste, la bourgeoisie s’est transformée en une classe réactionnaire, contre-révolutionnaire, dont la domination nous condamne aux crises économiques, au chômage de masse, à une misère croissante, aux guerres impérialistes et à la destruction de l’environnement. Aussi faut-il renverser ce système et lui substituer un système socio-économique supérieur, le socialisme, qui permettra de développer harmonieusement les forces productives (sans détruire la planète). En outre, pour la première fois de l’histoire, le socialisme permettra d’accroître la productivité du travail humain sans recourir à l’exploitation de classe. Tout le monde bénéficiera du progrès, et non plus seulement une minorité d’exploiteurs.
Ainsi, pour les marxistes, l’histoire ne dessine pas une ligne droite et ascendante. Il y a des phases de progrès, mais il y a aussi des phases de crise, de stagnation, et même de régression (comme aujourd’hui). Par ailleurs, l’histoire n’obéit pas à un « grand plan » prédéterminé. Il n’existe aucune garantie absolue que la révolution socialiste l’emportera. Si le capitalisme parvient à se maintenir encore quelques décennies, l’humanité sombrera dans la barbarie. D’où l’urgence de construire une puissante Internationale marxiste qui jettera le capitalisme dans les poubelles de l’histoire.
[1] C’est d’ailleurs la base matérielle des philosophies « postmodernes », qui rejettent l’idée de progrès. Ces philosophies reflètent le fait que, sous le capitalisme, le progrès s’est arrêté.