La plupart des dirigeants et intellectuels de la gauche réformiste rejettent le concept marxiste d’« avant-garde » de la classe ouvrière. Un exemple parmi tant d’autres : en 2021, lors d’une interview accordée à Thinkerview, Jean-Luc Mélenchon raillait « les piqûres de l’avant-garde révolutionnaire qui vient proclamer la vérité ».
Les anarchistes, qui partagent ce rejet, vont jusqu’à soupçonner que derrière l’idée d’avant-garde se profile la menace, voire le secret projet, de la dictature d’une minorité sur l’ensemble de la classe ouvrière. Historiquement, les partis staliniens – qui se proclamaient « organisation de l’avant-garde des travailleurs » – ont nourri cette méfiance. A force de zigzags et de trahisons, les bureaucraties qui dirigeaient les PC staliniens ont discrédité la notion d’avant-garde. Ce fut notamment le cas du PCF. Mais ceci ne nous mène pas très loin. Pour comprendre une idée marxiste, il faut commencer par ne pas la confondre avec sa caricature stalinienne.
Une réalité objective
Le point de départ du concept d’avant-garde n’est pas une vue de l’esprit ; c’est une réalité objective indiscutable : la classe ouvrière n’est pas politiquement homogène. Le niveau de conscience des travailleurs est très inégal. Autrement dit, leur « conscience de classe » est plus ou moins élevée.
Par exemple, une fraction du salariat vote systématiquement pour des partis de droite, c’est-à-dire contre ses intérêts de classe. La fraction la plus nombreuse oscille entre différentes positions politiques, selon les circonstances. Enfin, la minorité la plus consciente de notre classe – la plus à gauche – constitue de facto son avant-garde.
Ceci dit, il n’y a pas de frontières étanches entre les différentes couches du salariat, qui ne cessent d’évoluer et de se recomposer. Sur la base de sa propre expérience, le même travailleur qui a voté pour le Rassemblement National, pendant des années, peut soudainement se syndiquer et s’orienter très nettement vers la gauche. Il n’empêche : lors des périodes « normales » de la vie sociale, c’est-à-dire lorsque la lutte des classes est relativement modérée, seule une petite minorité des travailleurs développe une conscience révolutionnaire.
Pourquoi seulement une minorité ? Parce que l’exploitation et l’oppression que subissent les travailleurs, sous le capitalisme, ne déterminent pas automatiquement le développement d’une conscience politique « radicale », ni a fortiori révolutionnaire. L’oppression et l’exploitation ont des effets contradictoires : d’un côté, elles préparent une crise révolutionnaire, à terme ; mais d’un autre côté, elles tiennent la masse des travailleurs à distance de la vie politique (longues journées de travail, fatigue physique et psychique, etc.). Par ailleurs, le poids de l’habitude et des traditions pèse lourdement sur la conscience de l’écrasante majorité du salariat. A cela s’ajoute la propagande réactionnaire des grands médias, dont le rôle est précisément de justifier, de mille et une manières, la domination de la bourgeoise. Dans ce contexte – c’est-à-dire, encore une fois, lors des périodes « normales » de l’histoire –, il est inévitable que seule une petite minorité de la classe ouvrière résiste à ces pressions matérielles et idéologiques.
Le rôle du parti
Le rôle de l’avant-garde est précisément d’influencer la masse des travailleurs, de l’orienter vers la révolution socialiste. Comme l’écrivait Trotsky : « Ce qui fait la force de cette minorité, c’est que plus elle agit avec fermeté, résolution et assurance, plus elle trouve de soutien dans la masse ouvrière innombrable demeurée en arrière. » [1] Cependant, pour être en mesure de jouer ce rôle dirigeant, l’avant-garde doit elle-même être organisée, sur la base d’un programme scientifique et d’une discipline de fer. Autrement dit, elle doit s’organiser en un parti révolutionnaire.
A cet égard, ce qui caractérise la période actuelle, en France, c’est précisément l’absence d’un tel parti. C’est pourquoi Révolution a décidé de fonder un Parti Communiste Révolutionnaire (PCR) en décembre prochain. La tâche immédiate du PCR ne sera pas de diriger les masses : c’est hors de notre portée, à ce stade. La tâche immédiate du PCR sera de gagner l’avant-garde aux idées du marxisme, en commençant par les couches les plus radicalisées de la jeunesse et du salariat. Le regroupement de l’avant-garde dans un parti révolutionnaire – et même, au niveau mondial, dans une Internationale révolutionnaire – est une étape incontournable dans la lutte pour renverser le système capitaliste.
[1] Lettre ouverte à Pierre Monatte (1920).