Les économistes et les sociologues pro-capitalistes ne cherchent pas à définir la « petite-bourgeoisie » de façon rigoureuse. Leur objectif n’est pas scientifique : ils cherchent à gonfler le poids social de la petite-bourgeoisie, au détriment de la classe ouvrière. D’un côté, ils réduisent la classe ouvrière aux seuls travailleurs de l’industrie ; de l’autre, ils assimilent la petite-bourgeoise aux « classes moyennes » et intègrent à celles-ci une large fraction du salariat. Le tour est joué : la « classe ouvrière disparaît » et les classes moyennes se développent sans cesse, grâce aux miracles du capitalisme. Du moins, sur le papier.
D’un point de vue marxiste, la petite-bourgeoisie – au sens strict du terme – désigne une classe de petits propriétaires : petits paysans, commerçants, artisans, patrons de TPE, etc. Ils ne vendent pas leur force de travail contre un salaire ; ils travaillent leur terre ou dans leur magasin, leur entreprise... Dans les rapports de production et de propriété capitalistes, cette classe occupe donc une position distincte de celle qu’occupe le salariat. Or, comme l’avait prévu Marx, cette classe de petits propriétaires n’a cessé de fondre – au profit du salariat, pour l’essentiel. Par exemple, au milieu du XIXe siècle, la France comptait une majorité de petits paysans et une minorité de salariés. Aujourd’hui, le salariat constitue 90 % de la population active ; les paysans, moins de 4 % (dont une majorité de salariés agricoles, en réalité). Conclusion : le rapport de force entre les classes est plus que jamais favorable au salariat, qui reste le mieux placé pour prendre le pouvoir.
Ceci étant dit, la petite-bourgeoisie – telle que définie ci-dessus – ne constitue qu’une partie des « classes moyennes », dans lesquelles on peut ranger les couches supérieures du salariat et de la Fonction publique, entre autres. Comme Trotsky l’écrivait en 1937, « le développement du capitalisme a accru de façon extraordinaire l’armée des techniciens, des administrateurs, des employés de commerce, en un mot de tout ce qu’on appelle "la nouvelle classe moyenne". »
Cette remarque de Trotsky conserve sa validité, aujourd’hui. Cependant, le poids social du salariat a énormément augmenté depuis 1937, en particulier pendant les Trente Glorieuses. En conséquence, le poids social relatif des « classes moyennes » a nettement baissé, du moins si l’on ne commet pas « l’erreur » (délibérée, chez les sociologues bourgeois) de ranger dans les « classes moyennes » des travailleurs qualifiés qui, par exemple, gagnent 2000 euros par mois.
Politiquement, les classes moyennes (petite-bourgeoisie comprise) ne sont pas homogènes : ses couches supérieures penchent vers la bourgeoisie ; ses couches inférieures (qui sont les plus massives) penchent vers la classe ouvrière. En période de profonde crise du capitalisme, elles sont sujettes à de violentes oscillations politiques – vers la droite et vers la gauche. La crise économique frappe de plein fouet la masse des classes moyennes, qui cherchent alors une solution politique radicale. Si cette solution ne vient pas du côté de la classe ouvrière, sous la forme d’une révolution socialiste, le gros des classes moyennes finit par se tourner vers les démagogues réactionnaires. C’est une loi de l’histoire.