Philippe Poutou (NPA) déclarait récemment : « Le trotskisme, c’est du marxisme, mais à une époque très particulière qui correspond à la lutte antistalinienne. Aujourd’hui, on n’est plus du tout là-dedans. Le NPA n’est pas un parti trotskiste ». [1]
Certes, le NPA n’est pas trotskiste. Mais le trotskisme n’est pas ce qu’en dit Poutou, qui cependant nous offre une occasion d’aborder cette question.
La lutte contre le stalinisme
Il est vrai que le trotskisme a pris corps dans l’opposition à la contre-révolution stalinienne. Dès le milieu des années 1920, Trotsky et ses partisans ont lutté contre la dégénérescence bureaucratique de l’Union soviétique. Ils ont défendu les idées authentiques du marxisme face aux crimes et aux monstrueuses distorsions « théoriques » du stalinisme. Nombre d’entre eux l’ont payé de leur vie, à commencer par Trotsky lui-même, qui fut assassiné par un agent stalinien en 1940.
A elle seule, la production théorique élaborée dans le cadre de cette lutte constitue un trésor d’analyses. Par exemple, Trotsky a brillamment défendu la perspective internationaliste face à la doctrine stalinienne – et nationaliste – du « socialisme dans un seul pays ». Dans La révolution trahie (1936), il analysait le stalinisme sous tous les angles et formulait le pronostic suivant : si les travailleurs russes ne parviennent pas à renverser la bureaucratie stalinienne, celle-ci finira par restaurer le capitalisme et reconstituer une bourgeoisie russe. C’est précisément ce qui s’est passé au début des années 1990, un demi-siècle après la mort de Trotsky.
Cependant, contrairement à ce qu’affirme Poutou, la chute de l’URSS n’a pas dévitalisé le trotskisme. Des idées profondes ont une portée qui dépasse largement les circonstances immédiates de leur formulation. C’est le cas des écrits de Trotsky sur l’URSS et sur bien d’autres thèmes. Il a enrichi le marxisme en général, et non seulement le marxisme « d’une époque très particulière ». Par exemple, son analyse scientifique du fascisme n’a pas été dépassée à ce jour. De même, sa critique des « Fronts populaires » des années 1930 – en Espagne et en France – est toujours d’une grande actualité. Et ainsi de suite.
La révolution permanente
La « théorie de la révolution permanente » est l’un des apports les plus remarquables de Trotsky au marxisme. Elle peut être résumée de la façon suivante. En Europe occidentale, c’est la bourgeoisie qui a dirigé les révolutions des XVIIe et XVIIIe siècles. En renversant le féodalisme et en mettant sur pied des Etats-nations dotés de régimes relativement démocratiques, les bourgeoisies ont donné une impulsion majeure au développement du capitalisme. Cependant, la bourgeoisie russe du début du XXe siècle s’est développée grâce aux investissements de l’impérialisme. En outre, elle restait intimement liée aux grands propriétaires terriens et avait besoin de la protection de l’Etat tsariste. Arrivée trop tard sur la scène de l’histoire, elle était incapable de lutter contre l’impérialisme, contre l’absolutisme et pour une réforme agraire. Bref, la bourgeoisie russe était incapable de mener une révolution bourgeoise.
C’est donc à la classe ouvrière russe – minoritaire, mais très concentrée – que revenait la tâche de diriger la révolution, d’entraîner la masse des paysans pauvres et de prendre le pouvoir. Elle accomplirait alors les tâches bourgeoises de la révolution, notamment l’expulsion de l’impérialisme et la réforme agraire. Mais dans le même mouvement, elle commencerait à mettre en place des mesures socialistes : l’expropriation des grands capitalistes et la planification démocratique de l’économie. La Russie révolutionnaire deviendrait ainsi un maillon – et potentiellement le premier – de la révolution socialiste mondiale.
Trotsky formula cette perspective dès 1905. Or c’est précisément sur elle que reposait la stratégie adoptée par Lénine dans ses Thèses d’avril, en 1917. Cette stratégie a permis la victoire de la Révolution russe. Elle fut ensuite reniée, puis férocement attaquée par les staliniens. Elle n’en reste pas moins d’une actualité brûlante dans tous les pays soumis à l’impérialisme – où seule la classe ouvrière peut entraîner toutes les autres couches opprimées dans une offensive victorieuse contre l’impérialisme.
Pour définir le trotskisme comme du marxisme « qui correspond à la lutte antistalinienne », et seulement à celle-ci, il faut que Poutou ne comprenne rien au trotskisme et au marxisme en général. Le véritable trotskisme – et non ses caricatures ultra-gauchistes – est, pour ainsi dire, l’état le plus abouti du marxisme. C’est sur lui que se fonde la Tendance Marxiste Internationale.
[1] Dans Libération, le 7 janvier.