Sharon et les extrémistes réactionnaires dont il s’est entouré justifient leurs actes abominables par la nécessité de lutter contre le terrorisme. Ceci n’est qu’hypocrisie. Sharon sait très bien que sa politique ne fera que gonfler le contingent de jeunes Palestiniens prêts à perpétrer des attentats. Le véritable objectif de la répression est ailleurs : il s’agit de briser le moral et la résistance du peuple palestinien, afin de lui imposer des conditions encore plus invivables et plus humiliantes que celles qui ont été à l’origine de l’Intifada.
La révolte palestinienne n’est le fait ni d’Arafat, ni du Hamas. Il s’agit d’une révolte spontanée, partie "d’en bas", et qui vise à briser le carcan des restrictions insupportables qui pèsent sur la population. Le plan entériné par les accords d’Oslo s’inspirait du système des "bantoustans" de l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, avec Arafat dans le rôle de celui qui devait y maintenir l’ordre au moyen d’un puissant appareil policier. Les territoires "autonomes" - ces enclaves isolées les unes des autres, et encerclées par des forces armées hostiles - n’ont jamais eu la moindre viabilité économique et sociale. Le taux de chômage y avoisine 60%. L’installation des colonies juives en Cisjordanie et la destruction des habitations palestiniennes se sont poursuivies. Les accords d’Oslo n’étaient qu’un piège pour les Palestiniens.
Conformément aux dispositions de ces accords, les services secrets d’Arafat ont collaboré régulièrement avec le Mossad. Depuis le début de la deuxième Intifada, sa police a procédé à de nombreuses arrestations d’opposants. Les informations fournies par ses services à l’armée israélienne ont permis à celle-ci d’assassiner de nombreux résistants, comme en témoignent les dépêches de l’agence de renseignement Stratfor. La politique intérieure d’Arafat, corollaire de sa collaboration avec les États-Unis et avec Israël, conjuguée avec la corruption notoire de son entourage personnel, a contribué à miner son autorité auprès des habitants des territoires. En même temps, son incapacité à mettre fin à l’Intifada a convaincu les États-Unis et l’état-major israélien que celle-ci ne pouvait être brisée que par une intervention militaire de grande envergure. Nous le répétons : le but de cette opération n’est pas d’arrêter les attentats, mais de briser la résistance de la population. L’existence d’un foyer révolutionnaire, sur lequel sont braqués les yeux de tous les peuples opprimés du Moyen Orient, est une source de très vive inquiétude pour les grandes puissances. Étouffer l’Intifada, ce serait d’une part renforcer la position des régimes fragilisés de l’Algérie, du Maroc, de l’Egypte, de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite, et d’autre part conforter la position de l’allié incontournable, au Moyen Orient, des États-Unis et des puissances européennes, à savoir l’État israélien.
Sous le couvert hypocrite d’appels à la "stabilité" ou encore à la "paix", Bush, Powell, ainsi que tous les gouvernements européens, veulent parvenir à une situation où le peuple palestinien, saigné, épuisé et démoralisé, sombrera enfin dans la résignation et acceptera docilement son sort funeste. Il n’existe aucune différence significative entre la politique française et la politique américaine à cet égard.
L’offensive israélienne en Cisjordanie ne réglera rien du tout, ni du point de vue de l’État israélien, ni du point de vue des puissances occidentales. Bien au contraire, les massacres, le pillages et la destruction, non seulement ne mettront pas fin à l’Intifada, mais contribuent à embraser les peuples de tout le monde arable. Le Pentagone et la Maison Blanche ont pressenti ce danger. Les signaux confus et contradictoire émanant des porte-parole officiels traduisent d’ailleurs le dilemme auquel les autorités américaines se trouvent confrontées. Après avoir laissé faire le carnage dans un premier temps, Powell a insisté sur la nécessité de mettre fin à l’offensive. Mais les intérêts du chef d’État israélien et ceux du gouvernement américain ne coïncident pas totalement. Après avoir justifié l’offensive par la nécessité d’éradiquer le terrorisme, Sharon ne peut guère reculer sans obtenir des résultats tangibles. L’arrêt de l’offensive fragilisera son gouvernement, et pourrait bien entraîner sa chute.
Les faits sont en train de justifier les craintes, chez certains stratèges américains, d’une généralisation de la contestation à travers le monde arabe. C’est pourquoi Powell s’est rendu en Israël et à Ramallah. D’une façon ou d’une autre, il doit impérativement éteindre le brasier palestinien pour aborder dans de meilleures conditions la nouvelle guerre qu’il prépare contre l’Irak. On ne saurait exclure la possibilité d’une intervention militaire des États-Unis dans la région, sous la couverture des Nations Unies. Bush et Powell voudraient éviter une intervention si risquée, mais peut-être y seront-ils contraints.
En raison du déclin inexorable de sa position mondiale, la France a été réduite au rang d’observateur impuissant dans les affaires du Moyen Orient. Du coup, Jospin et Chirac ont fait ce qu’ils ont pu pour préparer l’opinion publique française à l’éventualité d’une intervention militaire des États-Unis avec, disent-ils, la participation des puissances européennes. Le parlement européen a lui aussi voté une résolution allant dans ce sens. Mais dans les faits, les modalités d’une éventuelle participation des forces militaires françaises ou européennes seront une fois de plus déterminées, non à Paris ou à Bruxelles, mais à Washington.
Tant que le sang des Palestiniens coulait sans trop déranger la stabilité des régimes dictatoriaux alignés sur les intérêts occidentaux, les puissances européennes ne s’en souciaient guère. Le tintamarre diplomatique en faveur d’un cessez-le-feu a été provoqué par le fait qu’au Liban, en Egypte, en Jordanie, en Arabie Saoudite, au Maroc et en Algérie, les massacres ont soulevé une immense indignation populaire, dirigée non seulement contre les États-Unis et Israël, mais aussi contre les régimes des pays en question.
En Jordanie, où la majorité de la population est d’origine palestinienne, les autorités ont dû quadriller la capitale de militaires et de policiers pour prévenir les manifestations contre Israël, avec lequel le régime royal entretient de solides relations commerciales et politiques. En Arabie Saoudite, l’alliée par excellence des États-Unis, de nombreuses manifestations anti-américaines ont eu lieu. Au Maroc, le roi a dû reporter son mariage, "par pudeur" dit-il, devant l’ampleur des protestations qui ont éclaté à travers le pays en solidarité avec les Palestiniens, et au cours desquelles les manifestants ont dénoncé la "lâcheté" et la "complicité" des régimes arabes face à l’agression israélienne. Des manifestations importantes ont eu lieu en Egypte, où un étudiant a été tué par la police, le 9 avril, à Alexandrie. À Bahreïn, à Qatar, et dans les Emirats Arabes Unis, de nombreuses marches et protestations ont été organisées.
Les préoccupations des multinationales et des grandes compagnies pétrolières ont été aussitôt relayées par les partis politiques. Le RPR, ainsi que presque tous les partis de droite en France, s’est déclaré favorable à une intervention militaire en Palestine. La direction du Parti Socialiste a également voté une motion allant dans ce sens, suivie de près, comme toujours dans les questions importantes, par la direction du Parti Communiste. La même position a été adoptée par les instances dirigeantes de pratiquement toutes les associations et mouvements politiques qui prétendent défendre la cause palestinienne, y compris la LCR, France-Palestine Solidarité, le MRAP et la Gauche Socialiste. Pour sa part, La Riposte, qui s’est engagée fortement en faveur de la cause palestinienne, refuse de s’associer à cette proposition, qui ne favorise en rien la réussite de l’Intifada, bien au contraire.
Une intervention américaine - ou de l’ONU, ce qui revient au même - dans la région renforcerait la position des adversaires de l’Intifada. Ce serait un instrument entre les mains des grandes puissances qui arment et appuient l’État israélien contre le peuple palestinien depuis des décennies. Elle signifierait que la lutte du peuple palestinien contre les conditions atroces qu’il subit se retrouverait nez à nez non seulement avec l’armée israélienne mais aussi avec celle de la plus grande puissance militaire sur terre, à savoir les États-Unis. La présence militaire américaine au Moyen Orient serait un front de plus dans la nouvelle guerre qui se prépare contre l’Irak, et qui a pour objectif de sauvegarder les intérêts de l’impérialisme américain dans la région. Et c’est cette sombre perspective que l’on présente allègrement comme une façon de "protéger" les Palestiniens !
Toutes les interventions américaines prétendent vouloir "protéger" telle ou telle population. On justifiait l’agression contre la Serbie par le besoin de "protéger" les Kosovars. Au nom de la "protection" du Koweït, les Nations Unies imposent, depuis 12 ans déjà, un embargo qui a tué plus d’un million de personnes, des enfants pour la plupart. En Afghanistan, après avoir installé les Talibans au pouvoir en 1996, les Etats-Unis, secondés par la Grande-Bretagne et la France, viennent de les remplacer par d’autres brigands intégristes, au prix de 2 millions de réfugiés supplémentaires. Que les responsables de ces partis et associations, prétendument "solidaires" avec la cause palestinienne, nous expliquent pourquoi et comment le même Colin Powell, qui s’apprête à lancer une nouvelle guerre contre l’Irak, voudrait contribuer au bien-être des Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie !
Les véritables objectifs des Etats-Unis apparaissent clairement dans le "compromis" honteux proposé par le général Zinni. L’envoyé spécial des Etats-Unis a exigé la reprise de la coopération entre les services policiers d’Arafat et le Mossad, ainsi que l’arrestation par ces mêmes services de toutes les personnes recherchées par les autorités israéliennes, en échange du retrait des troupes israéliennes sur les positions occupées au début de l’Intifada, en septembre 2000. Les prises de position officielles en France et en Europe visent à préparer la voie à la démarche de Powell, qui envisage la mise en place d’un contingent militaire américain qui appuierait la répression policière à l’intérieur des territoires pour le compte d’Israël, le bouclage des enclaves étant assuré conjointement par les armées israélienne et américaine.
Tous les gouvernements occidentaux condamnent le plus fermement possible le recours, par des jeunes palestiniens désespérés, aux attentats terroristes. Ils oublient, par contre, de condamner le terrorisme d’État, perpétré, avec infiniment plus de moyens et de victimes, par l’armée israélienne. Néanmoins, le terrorisme individuel n’est pas une solution pour les Palestiniens. Dans l’esprit des adolescents qui se sacrifient dans ces attentats, il s’agit d’un acte de résistance à l’oppression. Cependant, objectivement, le recours aux "bombes humaines" pour tuer des civils israéliens ne fait que faciliter la politique ultra-réactionnaire de Sharon. Pour lui, chaque explosion dans un café ou dans un bus est une aubaine politique lui permettant de dresser la population d’Israël contre les Palestiniens, de justifier les atrocités commises par l’armée et de marginaliser les Israéliens qui s’opposent à sa politique. Si nous nous opposons à l’utilisation de "bombes humaines" contre les civils israéliens, ce n’est pas parce que nous rejetons le recours à la violence dans la lutte contre l’oppression, mais parce qu’il s’agit d’une méthode qui se retourne contre la cause de l’Intifada.
En fait, le recours aux méthodes terroristes est la conséquence de l’absence d’une politique militaire sérieuse de la part d’Arafat, et n’est pas sans rapport avec les liens qui existent entre Arafat, le Hamas et des régimes réactionnaires tels que ceux de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. Pour faire face à l’attaque israélienne, il fallait armer et organiser la jeunesse et les travailleurs des villes et des camps palestiniens. Arafat, ainsi que le Hamas, dispose d’une quantité d’armes importantes. L’Autorité Palestinienne commande une force de 35 000 policiers armés. La jeunesse palestinienne a fait amplement preuve de sa combativité au cours des deux Intifada. Mais ni Arafat, ni les chefs du Hamas, n’ont voulu organiser une résistance sérieuse, dotée d’un commandement centralisé.
Certes, des miliciens palestiniens ont résisté héroïquement à l’envahisseur, notamment dans le camp de Jénine, où 13 soldats israéliens ont été tués dans une embuscade. Mais il s’agit là d’initiatives locales prises sur-le-champ par des combattants isolés qui, faute d’appuis, ont le plus souvent été tués au cours des affrontements. Une levée en masse de la population palestinienne, conjuguée avec un appel à l’action internationale en solidarité avec le soulèvement, aurait eu mille fois plus de chances de repousser l’avance des chars israéliens. Elle aurait porté un coup dévastateur au moral des soldats israéliens, qui ne tient que par le mythe de la lutte "anti-terroriste". Le refus de participer à la répression, chez plusieurs centaines d’officiers et soldats israéliens, est hautement significatif, et prouve qu’il ne faut pas considérer tous les Israéliens comme des ennemis. Un vrai soulèvement armé aurait inspiré et mobilisé la population d’origine palestinienne en Israël, y renforçant massivement l’opposition interne à Sharon. Enfin, une lutte armée de masse aurait galvanisé davantage la révolte mûrissante des peuples à travers le Moyen Orient.
La question palestinienne ne saurait être résolue indépendamment de la lutte contre l’oppression dans le reste du Moyen Orient. Les Palestiniens ont besoin du concours de tous les opposants au capitalisme et à l’oppression, y compris, bien sûr, en France et en Europe. Ce qu’il faut, c’est une politique internationaliste, une politique de classe, qui tire une ligne infranchissable entre les peuples de chaque pays et leurs oppresseurs, entre les vrais représentants du peuple et les imposteurs qui sont toujours prêts à se vendre à l’adversaire. Il suffira de rompre, à un seul endroit, la chaîne des intérêts impérialistes dans le Moyen Orient, pour que l’émancipation des peuples dans tous les autres pays en soit grandement facilitée.
Le Moyen Orient n’a besoin ni de rois, ni de princes, ni de parasites richissimes, ni de frontières artificielles tracées par les grandes puissances. Il faut en finir avec le capitalisme, mettre les ressources économiques entre les mains des travailleurs, et créer une grande fédération socialiste de tous les pays du Moyen Orient et de l’Afrique du nord. Sur la base de ce programme révolutionnaire et internationaliste, le peuple palestinien et tous les peuples opprimés de la région pourront enfin mettre un terme à leurs souffrances.