Entretien avec Adam, CGT Cheminots à Marseille. Cette interview a été réalisée le 27 mai dernier.
Révolution : Près de deux mois après le début du mouvement des cheminots, comment vois-tu son évolution ?
Adam : Au début du mouvement, il y a eu une forte mobilisation, parce que l’attaque est de grande ampleur. La mobilisation est restée solide. Elle l’est encore aujourd’hui, malgré des hauts et des bas. C’est du moins ce que je vois sur Marseille : lors des cycles de grève, la circulation des trains est très perturbée. Lors de la « journée sans cheminots », le 14 mai, la gare Saint-Charles était déserte. On pouvait entendre les mouches voler.
Ceci dit, je manque de visibilité sur la participation globale, mais après deux mois de mobilisation, il y a sans doute des cheminots – syndiqués ou non – qui sont sortis du mouvement, car ils manquent de perspectives. J’ai entendu, il y a quelques semaines, qu’on parlait de prolonger le mouvement en juillet. Les dirigeants syndicaux peuvent toujours poser un préavis de grève pour cet été, mais quel sera le niveau de mobilisation ? Beaucoup de cheminots se diront : « si on n’a rien obtenu en trois mois de grève perlée, on ne gagnera rien en prolongeant le mouvement deux mois de plus. »
Il est clair que le gouvernement ne reculera pas face à une grève perlée : il ne lâchera rien sur l’ouverture à la concurrence et la fin du statut des cheminots. Ce qui changerait tout, c’est si d’autres secteurs entraient dans un mouvement de grèves. Alors, le prolongement de la grève des cheminots aurait davantage de sens.
Révolution : Comment se déroule l’organisation de la lutte, sur le terrain ?
Adam : Pendant les deux jours de grève, il y a une AG le premier jour, parfois une autre le deuxième jour. Le programme est toujours le même : AG, puis initiative (rassemblement, occupation ou autre), puis repas fraternel, puis vers 14 heures tout le monde rentre chez soi. Il n’y a pas de discussion et pas de vote, puisque le calendrier des grèves est calé depuis le début.
Les dirigeants de la CGT prennent la parole et disent souvent la même chose : ils se félicitent du fait que la grève perturbe beaucoup le « plan de transport », qu’il y a peu de circulations de trains, que les chiffres des médias sont faux, qu’il faut continuer à se mobiliser. Moi, ce que je ressens, c’est qu’ils cherchent à nous rassurer, alors que les « négociations » avec le gouvernement n’avancent pas, et qu’on ne sait pas où on va.
Je ne sais pas comment cela se passe ailleurs, mais à Marseille il y a des AG organisées par la CGT et des AG organisées par Sud... Cette division est un problème. Souvent, les dirigeants de la CGT considèrent les militants de Sud avec méfiance. Et parler de grève reconductible (au lieu d’une grève perlée), c’est « blasphème ». Le discours, c’est : on est parti sur le calendrier de grève perlée – et on reste là-dessus. Pas question d’en débattre... Personnellement, on ne m’a jamais expliqué clairement pourquoi on ne partirait pas dans un mouvement de grève reconductible.
Révolution : N’y a-t-il pas aussi des divergences stratégiques ? Beaucoup de cheminots comprennent que, même s’ils engagent une grève reconductible, ils ne gagneront pas s’ils restent isolés, s’ils n’ont pas le soutien d’autres secteurs en grève. La grève perlée est alors une sorte de compromis, en attendant...
Adam : D’accord. Mais est-ce que les dirigeants de la CGT, à côté de son préavis de grève perlée, tentent d’étendre le mouvement à d’autres secteurs de l’économie ? Non. Ils n’en parlent même pas. Ni d’ailleurs les dirigeants de Sud.
Exemple concret : le 22 mai, il y avait une mobilisation de la Fonction publique, mais les cheminots se sont mis en grève les 23 et 24 mai, comme prévu par le calendrier... Quelques jours plus tard, le 26 mai, il y a avait les « marées populaires », co-organisées par la CGT, mais là encore ça tombait un jour travaillé par les cheminots, d’après le calendrier. Est-ce que, dans ces deux cas, on n’aurait pas pu changer le calendrier ? C’est incompréhensible... De son côté, la direction de la SNCF s’adapte au calendrier : elle prévoit des bus de remplacement et fait conduire des trains par d’anciens conducteurs devenus cadres.
Quelle que soit l’issue de ce mouvement, il y aura d’importantes leçons à en tirer : sur le contrôle de la grève par les cheminots, sur l’unité syndicale dans la lutte, et enfin sur la stratégie syndicale au niveau interprofessionnel. Le gouvernement ne lâchera rien tant qu’il ne sera pas confronté à un mouvement reconductible dans plusieurs secteurs de l’économie. Il faut en tenir compte.