Depuis la mi-mars, l’Education nationale est supposée assurer la continuité pédagogique pour près de 12 millions d’élèves du primaire et du secondaire. Loin de la préparation minutieuse vantée par le ministre Jean-Michel Blanquer, la continuité pédagogique a en réalité été mise sur pied dans un mélange d’approximation et d’improvisation. Cela a plongé élèves et personnels dans la plus grande confusion tout en renforçant les discriminations sociales.
Contradictions et improvisation
Le jeudi 12 mars, alors que l’épidémie commençait à se répandre dans tout le pays et que quatre départements avaient déjà fermé l’ensemble des établissements éducatifs, Blanquer assurait à la matinale de France Info, qu’il n’avait « jamais envisagé la fermeture totale de toutes les écoles de France ». Malheureusement pour lui, Emmanuel Macron lui apportait un démenti cinglant le soir même en annonçant la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités pour au moins 15 jours. Cette contradiction gouvernementale donnait la mesure de ce qui allait suivre.
Réagissant à l’allocution du président, Blanquer affirma ensuite que « la France a les moyens d’un enseignement à distance. Nous allons avoir grâce au CNED un dispositif qui s’appelle « Ma classe à la maison » avec des cours en visioconférence et des ressources pédagogiques […] Tout est prêt pour assurer la continuité pédagogique ». La réalité était malheureusement loin de cette vision idyllique. Dès le week-end, le site du CNED et son dispositif de classes virtuelles étaient déjà en maintenance, surchargés par le grand nombre d’enseignants qui tentaient de préparer leurs cours du lundi. L’annonce de Macron ne laissait en effet aux enseignants que trois jours pour s’y préparer. Sans compter que le ministre Blanquer les avait régulièrement dissuadés de se préparer à une telle éventualité.
Le vendredi, les directions d’établissements ont donc organisé en urgence des réunions le lundi suivant, pour mettre au clair avec toutes leurs équipes ce qu’il conviendrait de faire. Ce choix semblait logique : le confinement général n’avait encore pas été annoncé. Au contraire, le gouvernement incitait les français à sortir en masse pour aller voter aux municipales. Malheureusement, dès la fermeture des bureaux de vote, les consignes gouvernementales changèrent. Il était maintenant demandé aux personnels de l’éducation nationale de ne pas organiser de réunions en présentiel. Faute de mieux, certaines directions demandèrent quand même aux enseignants de venir assister à ces réunions, tandis que d’autres les annulèrent purement et simplement en attendant d’y voir plus clair.
Les problèmes techniques se sont aussi multipliés. Même si les documentalistes des différents établissements se démenaient pour identifier tous les outils numériques utilisables pour les cours à distance, ceux-ci n’avaient pas été conçus pour être utilisés aussi massivement que l’exigeait la « continuité pédagogique ». Les bugs ont donc été légion. Les espaces numériques de travail (ENT) et l’application Pronote (qui sert d’interface en ligne entre les enseignants, les personnels et les élèves) ont ainsi régulièrement planté lors de la première semaine de cours à distance.
Comment enseigner à distance ?
A ces problèmes techniques sont venues s’ajouter des consignes contradictoires. Celles-ci prennent leur source dans le bureau de Jean-Michel Blanquer, mais redescendent ensuite en semant la confusion à tous les échelons de l’éducation nationale. Par exemple, tous les enseignants ont d’abord été encouragés à utiliser au maximum les applications liées à Pronote, et notamment les messageries et les systèmes de cours en vidéo. Quelques jours après, une nouvelle consigne est venue demander aux enseignants de ne pas « surcharger » Pronote – et notamment sa messagerie – pour éviter de nouveaux plantages du système.
Faute de consignes cohérentes au niveau national, des contradictions sont aussi apparues entre les différentes académies, voire entre établissements d’une même ville ! Dans certaines académies, il a ainsi été demandé aux professeurs de se connecter à des créneaux horaires spécifiques suivant le niveau d’étude des élèves, alors que dans d’autres, les connexions dépendaient du département d’origine.
Des contradictions sont aussi apparues sur le contenu des cours. Dans un premier temps, l’idée générale était de continuer le programme – comme le sous-entendaient les mots mêmes de « continuité pédagogique » – mais il fut très vite demandé aux enseignants de se limiter à des révisions. Dans certaines académies, cela ne dura qu’un temps et consigne fut à nouveau donnée de reprendre le programme normal et d’évaluer « normalement » le travail des élèves. Il fallait en effet des notes pour remplir les bulletins sur lesquels le ministère entendait baser son contrôle continu. Las, quelques jours après, de nouvelles consignes demandèrent de ne pas prendre en compte les notes issues de travaux rendus pendant le confinement.
Confrontés à ces changements à répétition, les élèves et leurs familles étaient de plus surchargés de travail. Les enseignants ont en effet été encouragés dans un premier temps à maintenir une charge de travail « normale », avant de se voir intimer de réduire les cadences. Bref, loin d’avoir du temps libre pour « aller ramasser les fraises » comme le prétendait Sibeth Ndiaye, les enseignants ont dû au contraire s’adapter en permanence à des consignes changeantes.
« Aucun élève ne sera laissé de côté » (Jean-Michel Blanquer)
Loin de la fiction ministérielle sur l’égalité des élèves face à la continuité pédagogique ou sur un enseignement « connecté », le simple fait d’entrer en contact avec les élèves a souvent été un casse-tête pour les enseignants. Beaucoup d’élèves ne parvenaient en effet pas à se connecter aux plates-formes numériques, en raison des multiples défaillances qu’elles subissaient. De plus, les équipements informatiques font souvent défaut ou sont en nombre insuffisant : les familles ne disposent souvent que d’un seul ordinateur pour plusieurs enfants qui doivent se partager un temps de connexion limité. Cela sans parler du fait que les élèves doivent souvent partager l’ordinateur aussi avec leurs parents en télétravail. Parfois, il n’y a pas du tout d’ordinateur, mais seulement une tablette ou un téléphone portable parfaitement insuffisant pour suivre un cours en ligne en temps réel. Pour beaucoup d’élèves, l’idée même d’une classe virtuelle est donc un mirage bien lointain… Et même pour les familles disposant de moyens adaptés, les réseaux de communication sont souvent affaiblis, voire complètement saturés.
Si les problèmes de connexion persistent, la situation s’est un peu « stabilisée » à partir de la semaine du 23 au 27 mars. Pour autant, il s’agit d’une stabilité parfaitement inégalitaire. Certains élèves restent injoignables autrement que par téléphone et environ 25 % des effectifs sont encore aujourd’hui sans contact avec l’éducation nationale. Toutes ces différences recouvrent des inégalités sociales. Les élèves disposant d’un ordinateur personnel et dont les parents ont du temps libre sont clairement favorisés par rapport aux enfants de salariés pauvres contraints au télétravail ou tout simplement encore au travail chez Carrefour ou PSA !
Quelles perspectives pour la rentrée ?
La confusion s’est aussi fait sentir sur la durée de la période de « continuité pédagogique ». Depuis le 12 mars, les interventions du ministre Blanquer dans la presse se contredisent d’un jour à l’autre. Pendant les 15 premiers jours de confinement, il assurait que les examens auraient bien lieu et que le confinement ne durerait que deux semaines. Le 30 mars, il annonçait que la reprise se ferait le 4 mai [1]. Finalement, le vendredi 3 avril, il déclarait que « l’ensemble des épreuves du brevet et du baccalauréat général, technologique et professionnel sera validé en contrôle continu » tout en affirmant que le retour en classe se ferait courant mai « si la situation sanitaire le permettait » [2]. Une telle perspective est très improbable. A cause de l’amateurisme du gouvernement, le pays est toujours à court de masques et de tests de dépistage. Dans ces conditions, un déconfinement courant mai apparaît illusoire.
Plutôt que de semer des illusions qui visent à rassurer les parents et le CAC 40, le gouvernement devrait dès maintenant envisager que la reprise des cours ne se fasse qu’en septembre et demander aux enseignants de s’y préparer et d’adapter leurs enseignements en fonction de ce calendrier, quitte à l’aménager ensuite en cas d’amélioration de la situation. C’est ce qui est envisagé en Italie ou en Espagne par exemple.
Loin d’anticiper sur le développement de la crise, le ministre a été systématiquement en retard sur la situation, voire même sur les autres membres du gouvernement – comme ce fut le cas le jour de l’allocution de Macron. Toutes les évolutions de la politique de Blanquer ont été faites lorsque les événements ne lui laissaient plus de choix. En improvisant une « continuité pédagogique » de pure façade, Macron et son gouvernement ont placé les enseignants et les personnels de l’éducation nationale dans une situation impossible et « laissé de côté » des millions d’élèves issus de familles pauvres.
[1] Coronavirus. Bac : Blanquer annoncera la formule choisie « à la fin de la semaine »
[2] Bac : « Le contrôle continu n’oblige pas le ministère de l’éducation à changer de stratégie en cas de confinement prolongé »