Les manifestations anti-CPE se succèdent à un rythme quasi-quotidien. En un mois et demi, plusieurs millions de lycéens, d’étudiants et de salariés ont battu le pavé ou fait grève pour exiger le retrait du CPE - et, de plus en plus souvent, la démission du gouvernement. Face à l’ampleur croissante de la mobilisation, la droite prend peur et se divise. Chaque jour apporte son lot de défections ou de critiques dans les rangs de l’UMP. Ils craignent que le magnifique mouvement de la jeunesse finisse par entraîner les salariés dans une mobilisation massive. La jeunesse étudiante a déjà joué, dans l’histoire, le rôle de détonateur d’une explosion révolutionnaire. Ce fut le cas, par exemple, en mai 1968. C’est ce qui inquiète tous ceux qui accusent Villepin de « jouer avec le feu ».
Pour conjurer ce risque, le gouvernement et les médias s’efforcent de discréditer le mouvement et d’effrayer la population en brandissant le spectre des « casseurs ». Or, dans un mouvement aussi massif que celui-ci, des affrontements avec les forces de police sont inévitables. Et quoiqu’on puisse penser de leurs méthodes, les jeunes qui harcèlent les CRS sont animés d’une légitime révolte contre le CPE ou contre un système injuste qu’ils subissent au quotidien. Par ailleurs, de nombreux témoignages parlent de provocations de la part des CRS, ce qui est tout à fait conforme à la réputation de ce corps de police particulièrement réactionnaire. Quant aux jeunes imbéciles qui profitent des manifestations pour voler des sacs ou des téléphones portables, le seul moyen de les tenir à distance consiste à renforcer les manifestations étudiantes et lycéennes avec les services d’ordre syndicaux. Cependant, parmi les centaines de jeunes qui ont été interpellés, et dont plusieurs se sont vus infliger des peines de prison ferme, la plupart n’ont rien à voir avec l’image du « casseur » sans foi ni loi que nous présentent les médias.
Le gouvernement à la manœuvre
Lors du mouvement de mai-juin 2003 contre la « réforme » des retraites, il avait suffi que le gouvernement jette à François Chérèque quelques miettes de concessions pour qu’il trahisse le mouvement. La direction de la CFDT avait alors porté un coup sévère à la mobilisation. Dans l’espoir de renouveler cette expérience, le gouvernement fait mine d’émousser un peu le tranchant du CPE. La réduction à un an de la période d’essai a été évoquée, ce qui reviendrait à rallonger de quelques centimètres la corde avec laquelle on veut pendre la jeunesse. Par ailleurs, des grands patrons ont fait savoir qu’ils ne voyaient pas d’objection à la nécessité de « motiver » le licenciement des titulaires d’un CPE - à condition, ont-ils précisé, que cela n’engendre pas de recours aux Prud’hommes ! Autrement dit, un jeune salarié en CPE qui ferait l’objet d’une procédure de licenciement se verrait attribuer un lot de consolation sous la forme d’une lettre et d’un entretien, mais sans bénéficier des recours juridiques propres au CDD ou au CDI.
Les directions syndicales ont rejeté ces propositions scandaleuses. L’intransigeance de Chérèque, d’habitude si prompt à la capitulation, donne la mesure de la puissance du mouvement et de la pression qui s’exerce sur les appareils syndicaux. Face à ce front syndical uni, le gouvernement joue la carte du pourrissement - sous couvert de « poursuivre le dialogue ». Ainsi, dans l’après-midi du 24 mars, Villepin a reçu les syndicats de salariés pour une petite séance de discussion. Allait-il leur annoncer le retrait du CPE ? Evidemment pas. D’ailleurs, pour que les choses soient bien claires, Chirac déclarait deux heures avant le rendez-vous que le CPE « s’appliquerait. » Mais alors, à quoi servait ce simulacre de discussion ? A rien, du point de vue du mouvement contre le CPE. Par contre, du point de vue du gouvernement, cette manœuvre était destinée à donner l’impression que « quelque chose se passait », qu’« un processus était enclenché », qu’« on avançait » - bref, qu’il ne serait pas nécessaire de faire grève et de manifester, le 28 mars. Il faut reconnaître qu’en acceptant cette rencontre, les dirigeants syndicaux ont commis une erreur tactique. Et les organisations de jeunesse, de leur côté, ont eu parfaitement raison de décliner l’invitation du premier ministre, qui cherche à gagner du temps et à cacher son intransigeance derrière l’écran de fumée d’un pseudo-dialogue.
Les directions syndicales ont décidé d’organiser pour le 28 mars une « journée d’action interprofessionnelle avec arrêts de travail, grèves et manifestations ». Pourquoi ce mot d’ordre alambiqué plutôt que celui, plus simple et plus clair, de « grève générale de 24 heures » ? René Valladon, secrétaire confédéral de Force Ouvrière, explique que le défaut du mot d’ordre de grève générale, c’est... « sa connotation insurrectionnelle ». Ce genre de déclaration, de la part d’un dirigeant syndical, illustre la crainte qu’une grève générale de 24 heures soit le point de départ d’un mouvement de grève illimitée. N’oublions pas qu’en 1968, une grève générale de 24 heures avait été organisée, le 13 mai, pour protester contre la répression brutale des étudiants. Cinq jours plus tard, la France comptait près de six millions de salariés en grève illimitée - et plus de 10 millions à l’apogée du mouvement. Telles sont les magnifiques traditions du mouvement ouvrier français. Malheureusement, il semble qu’elles effraient non seulement la classe dirigeante française, mais aussi bon nombre de dirigeants syndicaux.
Dissolution de l’Assemblée nationale !
Comme d’habitude, la CGT est la plus combative des confédérations syndicales. Cependant, nous pensons que les mots d’ordre de sa direction nationale manquent d’envergure par rapport à la situation critique dans laquelle nous nous trouvons. Dans une note à ses organisations locales, la direction de la CGT demande que, « dans les manifestations, les mots d’ordre restent axés sur le CPE, les questions de précarité, d’emplois, de salaires, sans déborder sur des contenus politiques ». Cette recommandation signifie-t-elle qu’il ne faut pas aller jusqu’à demander la démission du gouvernement et l’organisation immédiate de nouvelles élections ? Si tel est le cas, c’est manifestement une erreur. De Villepin a dit maintes fois qu’il ne retirerait pas le CPE. En même temps, les sondages montrent que le gouvernement est complètement discrédité. La puissance du mouvement d’opposition au CPE se nourrit de la colère accumulée par toutes les contre-réformes mises en œuvre par la droite. Sur le plan électoral, le rejet du gouvernement s’est clairement exprimé à trois reprises : aux régionales et aux européennes de 2004, puis lors du référendum sur la constitution européenne. Dans ce contexte, le mot d’ordre de dissolution de l’Assemblée nationale rencontrerait un puissant écho dans la population - comme l’indiquent les nombreuses pancartes, sur les manifestations, qui réclament la démission de Villepin. La jeunesse et les salariés comprendraient la nécessité de se battre, non seulement pour le retrait du CPE, mais pour renverser un gouvernement qui compte utiliser l’année qui lui reste pour lancer de nouvelles attaques contre nos droits et nos conditions de travail.
Le PS et le PCF devraient exiger l’organisation immédiate d’élections législatives et présidentielles. Il faut en finir avec la droite au pouvoir. Le CPE et le CNE sont une expression brutale de la crise du système capitaliste. Ils montrent dans quels abîmes de précarité la classe dirigeante est prête à jeter la jeunesse et les salariés pour sauvegarder ses marges de profits. Dans ce contexte, il faut dire clairement que, sur la base du capitalisme, des réformes progressistes ne pourraient avoir qu’un impact extrêmement limité - ne serait-ce que parce que le patronat s’y opposerait de toutes ses forces. Un programme socialiste ou communiste digne de ce nom doit comporter des mesures décisives pour briser la résistance patronale, à commencer par la nationalisation des principaux leviers de l’économie et leur gestion démocratique sous le contrôle des salariés eux-mêmes.
Quelle que soit l’issue de l’actuel mouvement, une chose est claire : la France est entrée dans une période d’extrême turbulence sociale et politique, au cours de laquelle la masse de la population parviendra à la conclusion qu’il faut en finir avec le système capitaliste. Et lorsque la classe ouvrière française se lancera dans cette lutte décisive, aucune force au monde ne pourra l’arrêter.