Le 28 mai dernier, le personnel de l’hôpital psychiatrique Marchant, à Toulouse, a démarré une grève, toujours en cours, à l’appel du syndicat SUD. Les grévistes protestent contre un manque de moyens criant et revendiquent une augmentation des dotations en lits et en personnel, pour pouvoir travailler dans des conditions dignes.
Interview avec Guillaume Lahellec, infirmier et secrétaire du syndicat SUD.
Comment fonctionne l’hôpital Marchant et quelle zone couvre-t-il ?
On a plein de petites structures sur l’ensemble du département, en plus du site de l’hôpital Marchant, pour un total de 1500 salariés. Ici, en intra-hospitalier, on soigne l’équivalent de 400 patients. Chaque service a une capacité qui lui est propre. En service d’admission, on soigne 22 patients avec trois infirmiers et un aide-soignant. En service de suite (ou service SSR – soins de suite et de réadaptation), on soigne 22 patients avec un aide-soignant et un infirmier.
En plus de l’unité psychiatrique, nous avons un EHPAD, où la situation est dramatique. Nous avons un infirmier et trois aides-soignants pour 40 patients avec des pathologies très lourdes : poly-pathologies, Alzheimer, pathologies psy associées… Ils ont besoin de traitements lourds : soins somatiques, pansements, sondages urinaire, perfusions...
Lorsque n’importe quel citoyen de l’agglomération toulousaine souffre de troubles psychiatriques, il dépend d’un secteur de soin, suivant son adresse. L’agglomération toulousaine est découpée en huit secteurs, dont sept à la charge du CH Marchant. Par exemple, si un citoyen souffre d’une dépression ou d’une crise suicidaire, il va contacter un Centre Médico-Psychologique (CMP). C’est une unité de ville où il y a des infirmiers et des médecins. Un secteur est aussi composé d’un service d’admission en intra-hospitalier, pour gérer le côté aigu de la pathologie.
On sait que le soin de psychiatrie a été créé pour un bassin de population de 70 000 habitants, soit un secteur pour 70 000 habitants. Aujourd’hui, on en est à un secteur pour 200 000 habitants. Il nous faudrait donc trois fois plus de moyens pour soigner correctement.
L’hôpital Marchant est l’hôpital le plus dur de France. 80 % de nos patients sont hospitalisés sous contrainte. Ce sont souvent les pathologies les plus lourdes. Cela comprend les hospitalisations à la demande d’un représentant de l’Etat. Lorsqu’il y a un trouble à l’ordre public et que le sujet se retrouve en garde à vue, les flics évaluent s’il y a peut-être un délire, un problème psy. Puis un expert psychiatre – mandaté par le préfet – dit s’il faut l’hospitaliser. C’est une injonction et on a l’obligation de recevoir le patient, dans la minute. Sauf que nous, parfois, on n’a plus de place pour accueillir ce patient.
Pourquoi avez-vous décidé de lancer cette grève ?
Depuis déjà plusieurs années, les conditions d’hospitalisation de nos patients et les conditions de travail des agents se dégradent de manière catastrophique. Pour pallier à l’urgence, nous demandons la création de 60 postes. Depuis le 28 mai, nous avons installé une tente devant l’entrée de l’hôpital pour faire entendre nos revendications. Et nous comptons rester ici le temps nécessaire pour obtenir satisfaction.
Par exemple, je travaille dans le secteur 1. C’est l’un des plus gros secteurs en termes de population, avec des situations sociales qui sont assez fragiles, avec plus de 200 000 habitants. Dans notre unité d’admission, qui compte 20 lits pour 22 patients, on a un mi-temps d’assistante sociale. Imaginez : elle est là deux ou trois jours par semaines pour gérer les dossiers – souvent lourds – de 22 patients. Ce n’est pas possible ! On demande que soit renforcés l’ensemble de nos professions, nos effectifs en médecins, infirmiers, aides-soignants, psychologues… Dans mon unité, la psychologue n’est là que deux à six heures par semaines. Et elle est censée s’occuper de 22 patients, sachant qu’un entretien dure environ une heure.
Pour gérer l’affluence des hospitalisations, on joue au jeu des chaises musicales. On utilise les chambres d’isolement, qui sont des outils de soin intensif, pour hospitaliser des patients qui n’en ont pas besoin. Et donc ils se retrouvent dans des chambres avec porte blindée, lit cloué au sol, toilettes sans chasse d’eau… Inadmissible !
Pour s’en sortir, il faudrait créer quatre secteurs (services d’admission et CMP) de plus. Au lieu de ça, depuis un an ou deux, l’hôpital ferme des lits ! On a des services de suite qui vont fermer : un en fin d’année, un autre dans deux ans. Pour participer à ce qu’ils appellent un « retour à l’équilibre financier », l’hôpital se transforme peu à peu en entreprise. On fait du soin à la chaîne et on a plus du tout de temps pour créer du lien et pour faire du soin relationnel avec le patient, ce qui est pourtant au cœur de notre métier.
Vous mettez des patients dehors, faute de place ?
Non. Ce qui se passe, c’est que de plus en plus de patients sont laissés au bord de la route. Quand vous vous adressez au CMP, vous avez deux réponses possibles. La première : « revenez dans six mois, car on n’a pas de place dans l’immédiat ». La deuxième : « allez aux urgences, on n’a pas les moyens de vous recevoir ». Mais les urgences sont saturées – et la personne n’a plus qu’à rentrer souffrir chez elle.
On voit de plus en plus de patients, dans les rues toulousaines, qui errent au lieu d’être soignés. Quand vous avez quelqu’un au téléphone qui veut se suicider et qui demande juste d’être écouté par un professionnel de santé, et qu’on raccroche en lui disant qu’il n’y a plus de place pour un rendez-vous, vous vous demandez si, demain, il ne va pas passer à l’acte. On ne peut plus assurer notre rôle de service public. C’est très frustrant pour les collègues, les infirmiers, les aides-soignants et les toubibs.
Hier, vous avez reçu la visite de deux députées (une LREM et une FI). Que vous ont-elles dit?
La députée FI soutient notre mouvement de grève et nos revendications. La députée LREM était « de tout cœur avec nous », mais elle nous a expliqué que nous n’étions pas confrontés à un problème d’effectifs ou de lits disponibles. Selon elle, c’est un problème d’organisation. Si l’hôpital était organisé de manière plus « efficiente » (quel terme !), on pourrait mieux fonctionner. C’est absurde. Aujourd’hui, c’est plus du tout des questions d’organisation ; on en est à essayer de mettre des carrés dans des ronds. Notre demande principale, c’est bien des moyens urgents alloués à l’hôpital psychiatrique Marchant et, en général, à l’hôpital public, qui est en souffrance dans tout le pays.
Que vous répondent les dirigeants de l’hôpital ?
La direction nous répond que nos revendications sont légitimes, mais qu’elle n’a plus les clés du camion, qu’on est sous tutelle de l’Agence Régionale de Santé (ARS), qui détient le portefeuille. Or l’ARS est sous le commandement de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui a pour objectif de casser le secteur public, alors qu’il est déjà « à l’os ». C’est pour ça qu’on se mobilise. Je suis passionné par mon boulot, mais on ne nous donne pas les moyens de travailler correctement.
Que devrait faire un futur gouvernement de gauche ? Quel devrait être son plan pour la psychiatrie, au niveau national ?
La psychiatrie a besoin d’un grand « plan Marshall », d’ampleur nationale. Le budget de la psychiatrie, en France, c’est entre 8 et 10 milliards d’euros. Le plan Buzyn, présenté il y a quelques mois, a renforcé le budget de la psychiatrie de 100 millions d’euros, soit de 1 %. C’est dérisoire. Nous pensons qu’il ne faut pas parler en centaines de millions, mais en milliards d’euros.
Si je devais vous donner un chiffre, il faudrait doubler le budget de la psychiatrie. 20 milliards d’euros permettrait de respirer, d’avoir des moyens presque satisfaisants. Si l’on veut mieux soigner, il faut plus d’infirmiers, de médecins, de plateaux techniques. Pour ça, il faut des milliards d’euros.
« Ça coûte trop cher », nous dit-on. Mais en attendant, on verse d’énormes dividendes aux actionnaires, etc. C’est vraiment un choix de civilisation. Un psychiatre, Lucien Bonnafé, disait : « On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous ».
Quelles sont tes perspectives pour la lutte, au niveau local et national ?
Je pense que l’idée d’une organisation de masse et d’une convergence des luttes est très importante au niveau national, que ce soit syndical, citoyen ou associatif. C’est nécessaire pour créer un vrai rapport de force.
Je pense aussi qu’il ne faut pas faire l’économie de la lutte locale. Il est important de tisser du lien avec les collègues du CHU en lutte, avec les associations de familles et d’usagers, avec les politiques et les médias.
A travers une lutte locale, il y a une caisse de résonance. On l’a vu au Rouvray et à Amiens, où nos collègues se sont mobilisés. Cela a été un détonateur qui a permis aux autres hôpitaux de se dire : « ça existe là-bas, nous aussi on vit les mêmes choses, donc pourquoi pas nous ».
Je pense que la lutte et l’engagement politique – parce que c’est de la politique qu’on fait ici, avec la tente devant l’hôpital – sont nécessaires, car on n’a plus que ça. Ce n’est pas que symbolique. Ici, c’est un lieu d’échange et de convivialité, une sorte de « bureau syndical » où n’importe qui peut venir, syndiqué ou pas. Même des patients viennent nous voir pour parler de leurs conditions d’hospitalisation.
Tu veux dire quelque chose, pour conclure ?
Oui, la tente est située au 134 route d’Espagne, juste en face de l’hôpital Marchant. A tous ceux qui liront cet article : vous êtes les bienvenus. Quelle que soit votre profession, votre réseau : si vous n’habitez pas loin, dans l’agglomération toulousaine, venez partager un moment avec nous sous la tente, 5-10 minutes, le café est bon, ce sera déjà énorme en termes de soutien. Vous êtes les bienvenus.
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