L’assassinat de Samuel Paty, vendredi dernier, a soulevé une vague d’indignation à travers le pays. C’est la première fois qu’un attentat de cette nature vise un enseignant. Le personnel de l’Education nationale est sous le choc, partagé entre le dégoût, l’angoisse et la colère.
Nous condamnons ce crime odieux sans la moindre réserve. Comme tous les attentats, ses conséquences sont totalement réactionnaires. Pour le comprendre, il suffit d’écouter les politiciens et les journalistes qui, depuis vendredi, se livrent à une écœurante exploitation politique de cette tragédie. En une débauche de propagande raciste, ils mêlent les appels à « lutter contre l’immigration », à remettre en cause le droit d’asile, à interdire le port du voile, à sanctionner les collégiens et lycéens coupables « d’atteintes à la laïcité », à sanctionner aussi leurs parents, voire à expulser toute la famille du territoire – et ainsi de suite, chacun y allant de sa proposition plus « ferme » que celle du voisin. Ceux qui, jusqu’alors, insultaient régulièrement les enseignants, les traitaient de « fainéants » et de « privilégiés », en font soudain les héroïques piliers de la République. Dans le même temps, une partie de l’opposition de gauche – en particulier la France insoumise – est taxée « d’islamo-gauchisme », quand elle n’est pas accusée d’être « complice » du terrorisme islamiste.
La gauche et le mouvement syndical ne doivent pas rester passifs face à cette propagande et aux mesures qu’annonce ou prépare le gouvernement. Sur cette question comme sur toutes les autres, la soi-disant « union nationale » est un piège qui sert uniquement les intérêts de la classe dirigeante française, laquelle porte une large part de responsabilité dans les attentats terroristes qui frappent régulièrement notre pays. Le mouvement ouvrier doit souligner et dénoncer cette responsabilité, qui est évidente à plusieurs niveaux.
Mais d’abord : pourquoi Samuel Paty n’a-t-il pas été placé sous protection policière ? Les services de l’Etat – y compris le renseignement territorial – étaient au courant des plaintes et des vidéos dont l’enseignant faisait l’objet. Par ailleurs, nous ne connaissons pas le rôle précis joué par Abdelhakim Sefrioui, fiché S et inscrit au FSPRT [1], mais son implication personnelle, dans le conflit avec l’enseignant, était connue. N’était-ce pas suffisant pour décider de placer Samuel Paty sous protection policière ? Voilà une question qu’évitent de poser tous ceux qui, sur les plateaux de télévision, préfèrent exploiter ce crime pour intensifier leur propagande contre l’ensemble des musulmans – « sans amalgame », précisent-ils, avant de s’y vautrer.
Cette offensive politique contre les musulmans, qui dure depuis de nombreuses années, cherche à diviser la classe ouvrière et à détourner son attention des véritables responsables de la crise, du chômage et de la misère. Mais cette offensive est aussi l’un des facteurs – parmi d’autres – qui alimentent le fondamentalisme islamique. Il y a là un cercle vicieux : à chaque attentat (et même en l’absence d’attentats), les réactionnaires de tout poil déversent leur propagande contre l’ensemble des musulmans ; mais en retour, cette propagande, comme les atteintes de l’Etat à la liberté de culte (lois contre le port du voile), constituent une matière première idéale pour la propagande des militants fondamentalistes. Ainsi, loin de contribuer à la « lutte contre le fondamentalisme », le déchaînement médiatique contre les musulmans ne peut que contribuer à le renforcer, c’est-à-dire à lui fournir de nouveaux partisans et de nouveaux candidats au « martyre ».
Il y a d’autres facteurs, bien sûr, qui ont nourri et nourrissent encore la gangrène archi-réactionnaire du fondamentalisme. Au premier rang de ces facteurs, il y a les crimes de l’impérialisme – notamment français – au Moyen-Orient et en Afrique. Les chevaliers médiatiques de la « lutte contre la radicalisation » n’en soufflent pas mot. Et pour cause : la plupart d’entre eux ont soutenu les interventions de l’impérialisme français en Afghanistan, en Libye, en Irak, en Syrie et au Sahel. Or ces interventions, comme les interventions des impérialismes américain et britannique, ont joué un rôle décisif dans le développement des organisations fondamentalistes, dont Al-Qaïda et l’Etat Islamique. Ces organisations ont prospéré dans le chaos sanglant que les impérialistes ont semé dans des pays peuplés d’une majorité de musulmans. Dans le monde entier, les images de ces guerres impérialistes ont provoqué l’indignation brûlante d’innombrables musulmans – et ont poussé certains d’entre eux dans les bras des fondamentalistes. Au Sahel, aujourd’hui, l’impérialisme français mène une soi-disant « guerre contre le terrorisme » – en fait, une guerre pour défendre les intérêts des multinationales françaises – qui ne cesse de faire croître les rangs des terroristes.
En 2013, dans le sillon des Etats-Unis, l’impérialisme français soutenait les soi-disant « rebelles modérés » qui luttaient contre le régime de Bashar al-Assad, en Syrie. Or c’est un fait parfaitement connu, désormais, que ces « rebelles » n’étaient pas plus « modérés » que ne le fut, vendredi dernier, le bourreau de Samuel Paty. L’impérialisme français a soutenu, financièrement et militairement, des milices fondamentalistes qui ont semé la terreur en Syrie – le tout avec l’assentiment de la plupart des politiciens qui, aujourd’hui, exigent des mesures « extrêmement fermes » contre quiconque est suspecté du moindre « signe de radicalisation », collégiens et lycéens compris ! Leur cynisme et leur hypocrisie ne connaissent aucune limite.
Enfin, pour compléter ce tableau, il faut rappeler que l’impérialisme français entretient d’excellentes relations politiques, économiques et militaires avec des régimes archi-réactionnaires – comme l’Arabie Saoudite et le Qatar – qui financent massivement des organisations fondamentalistes. Avec ces régimes, on entre dans la cour des grands, et même des très grands en matière de fondamentalisme. Mais ce qui prime, du point de vue du gouvernement Macron (comme des précédents), ce sont les intérêts fondamentaux de l’impérialisme français. Et donc : « circulez, il n’y a rien à voir » !
Interventions impérialistes au Moyen-Orient et en Afrique, soutien direct ou indirect des impérialistes à des organisations fondamentalistes, propagande permanente contre les musulmans, discriminations diverses à l’égard des mêmes, qui subissent aussi de plein fouet la misère, le chômage et le harcèlement policier : tels sont les principaux facteurs qui ont nourri et nourrissent le fondamentalisme en France. Autrement dit, aujourd’hui comme hier, le terrorisme est l’un des horribles symptômes d’un système malade, d’un système pourrissant qui entraîne l’humanité dans une impasse sanglante. La barbarie fondamentaliste est le revers de la barbarie impérialiste et capitaliste. Voilà ce que les dirigeants de la gauche et du mouvement syndical doivent expliquer, au lieu de se précipiter dans une soi-disant « union nationale » avec des partis de droite qui sont responsables, à leur niveau, de la gangrène fondamentaliste.
Si, au lieu de s’accrocher au capitalisme, les dirigeants du mouvement ouvrier présentaient un programme et une perspective révolutionnaires, ils susciteraient l’enthousiasme de très nombreux jeunes et travailleurs musulmans – y compris parmi ceux qui tendent l’oreille aux discours fondamentalistes. Nombre d’entre eux tourneraient le dos aux agitateurs réactionnaires pour rallier la lutte contre l’oppression, contre les guerres impérialistes, contre l’exploitation, pour le socialisme. Or seule la victoire de cette lutte permettra d’en finir avec le fondamentalisme, comme avec tous les autres fléaux que la crise du capitalisme aggrave sans cesse.
[1] Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.